Quant
à moi, j’ai obtenu de manière tout à fait illégale une nouvelle
identité qui curieusement, ne comporte pas une seule des lettres de
mes anciens noms. J’ai réussi à traverser tout le pays et, au
bout de plusieurs semaines, à intégrer une petite ville en
auto-gestion, très impliquée dans le mouvement zélé.
Quand
le climat s'est apaisé, j'ai repris contact avec Sarah, qui ne m'a
pas reconnue tout de suite. Ça fait bizarre de voir pleurer Sarah.
On l'en croirait incapable. De contact en contact, prudemment, j'ai
réussi à remonter la piste des évacués. Comme l'avait prédit
Trajan, ils ont été soigneusement séparés les uns des autres avec
une application qui forcerait presque le respect. Les procédures,
déjà bien avancées quand est arrivé le Gouvernement provisoire,
ont bêtement poursuivi leur cours sous sa férule, peut-être par
facilité, peut-être parce qu'on voyait toujours en eux une menace
pour la stabilité politique qu'on cherchait à tout prix à
retrouver.
Les
plus anciens ont vu leur identité ressusciter ; les natifs s'en
sont vus créer une nouvelle, conforme, avec une jolie carte en
plastique pour leur rappeler qui ils sont. Ceux-là, issus du néant,
créés de rien, ont été les plus difficiles à retrouver.
Ceux
qui ont réussi l'entretien psychologique ont très été éparpillés
dans des résidences à travers tout le pays, appartement tout
meublé, tout assuré, avec emploi à la clef (jusqu'aux révoltes) :
espace minimum vital, aides minimales, bref on les a intégrés en
ville avec, en guise de bracelet électronique, l'angoisse de ceux
qui n'ont que le minimum pour survivre. On les a dès le départ si
bien coupés les uns des autres qu'aucun n'a su, pendant longtemps,
ce qu'était devenu son voisin, son amant, ses amis...
Les
enfants bénévolents ainsi que ceux des évacués impliqués dans
les violences sont devenus pupilles de l'Etat et tentent de se
conformer au nouveau rôle d'élève dans des internats. Ceux-là, je
les surveille de loin, car ils sont étroitement suivis par les
services sociaux.
Un
jour, j'ai réussi à faire passer un message dans la maison de repos
où est enfermé l'Ingénieur.
Pour
qu'il sache qu'il n'est pas seul.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire